Le recours, aujourd’hui, à des degrés pour articuler un discours musical va de soi. Et pourtant il est lui aussi le fruit d’une évolution. Pour les périodes les plus reculées, il faut imaginer un jeu en ruban, puis sans doute le recours à des degrés aléatoires puis enfin, avec les théorisations des phénomènes, à des modèles d’échelles musicales qui ont fait souches, mais qui ont aussi évolué.
Partout, les modèles ont été extrapolés de la série harmonique [1]. En Occident les gammes utilisées dérivent de deux gammes anciennes, les gammes de Pythagore et d’Aristoxène.
Pourtant aucun de ces modèles n’est parfait, et tous présentent, pour un jeu musical donné, des avantages et bien sûr des inconvénients. Cette organisation de l’échelle a été maintes fois reprise et modifiée. Parce qu’on cherchait à tempérer les imperfections, on parle de tempérament.
L’avènement du tempérament égal clôt, d’une certaine façon, une recherche permanente chez les anciens pour tirer le meilleur parti de la matière [2]. Cependant, le tempérament égal, lui-même n’est pas non plus totalement satisfaisant puisque que seule l’octave y est parfaitement consonante.
Le tempérament égal est le rejeton dominant de cette évolution. Il mérite qu’on l’examine en premier car il est le système de référence par excellence aujourd’hui.
Le Tempérament Egal
Le tempérament égal, utilisé dans la musique savante occidentale et ses prolongements (la variété par exemple) est d’un usage très récent. Il a été proposé par Mersenne en 1636 à l’académie. Mais il semble que ce soit le père de Galilée, Vicento, qui le premier ait proposé un tempérament égal.
Il faut noter que son usage ne se généralise pas aussitôt… Par exemple, les facteurs d’orgues anglais ont utilisé des tempéraments inégaux jusqu’en 1851.
Dans le tempérament égal, le demi-ton vaut précisément 1 racine douzième de l’octave. Il découpe l’octave en douze parties égales.
L’octave, à la base du système, y est donc parfaitement juste, tandis que tous les autres intervalles, qui ne sont jamais égaux à un rapport harmonique, sont faux, dans une proportion minime, acceptée par l’oreille occidentale ; on parle de tolérance à ce sujet.
Du point de vue de la consonance, la quinte égale est acceptable, la différence étant d’environ 2 Cents, tandis que la tierce égale l’est beaucoup moins puisqu’elle est supérieure à la tierce pure de 13,7 Cents, ce qui n’est pas négligeable…
Le tempérament égal a considérablement influencé les pratiques musicales puisque, par exemple, la modulation ou la transposition, procédés difficiles, voire impossibles dans certaines tonalités avec les gammes originelles [3] ou avec les tempéraments inégaux sont devenues simples avec le tempérament égal.
Considérations pratiques et esthétiques.
Cette véritable révolution ne s’est pas faite en un jour et il y a eu des résistances, car le tempérament égal présente aussi de gros inconvénients selon le point de vue où l’on se place.
Les chinois ont inventé le tempérament égal avant l’occident et l’ont aussitôt rejeté, comme étant inadéquat à la pratique musicale. Si l’on sait un peu l’importance symbolique dans la Chine ancienne de la musique, on peut comprendre ce rejet car ce tempérament égal est parfaitement inharmonique et par là-même dangereux. Pour apprécier cette dernière proposition, il faut comprendre le terme harmonie dans toutes ses acceptions et imaginer que les chinois comme les anciens (et notamment les Grecs) en avaient une compréhension globale. Le recours à une musique inharmonique ne pouvait engendrer que des désordres.
Danielou dans son traité de musicologie comparée nous dit : « Dans le Li-Ki, l’ancien Mémorial des Rites de la Chine, nous lisons que “la musique est intimement liée aux relations essentielles entre les êtres”.
Tong-Tshung-Chu, au second siècle avant J-C, expliquait la nature de ce lien en disant que les esprits vitaux des hommes, accordés sur les tons du Ciel et de la Terre, en reflètent les frémissements, comme plusieurs luths accordés sur la même tonique (kung) vibrent tous quand la tonique résonne. “L’harmonie entre la Terre, le Ciel et l’homme ne vient pas d’une union physique, d’une action directe, mais d’un accord sur une même note qui les fait vibrer à l’unisson… Dans l’univers, il n’y a pas de hasard, il n’y a pas de spontanéité, tout est influence et harmonie, des accords qui répondent à d’autres accords." ». Tong-Tshung-Chu décrit en somme ce que les acousticiens nomment résonance par sympathie.
Aujourd’hui, des compositeurs, entre autres les adeptes de la “Juste Intonation” comme Jacques Dudon ne font pas usage du tempérament égal. Puisqu’il est vrai que si l’on ne module pas et si l’on n’effectue pas de transposition, le tempérament égal n’est pas nécessaire. Bien entendu, cette démarche interdit le recours à certains instruments à sons fixes tels que le piano. Cette démarche peut prendre la forme d’une querelle, puisqu’elle remet en cause l’usage.
La juste intonation est assez développée aux Etats-Unis, notamment en Californie et doit beaucoup au mouvement New-Age. On peut en découvrir les fondements sur Internet.
En fait, la conclusion raisonnable de cette nouvelle bataille des anciens et des modernes est que le tempérament égal est parfaitement adapté à certaines musiques, et que des tempéraments inégaux sont parfaitement adaptés pour d’autres musiques. On peut même dire que si certaines musiques ne peuvent être jouées qu’en tempérament égal, d’autres ne peuvent être jouées qu’en tempérament inégal. Jouer de la musique savante turque du XIXe S. en tempérament égal est un non-sens absolu qui lui ferait perdre tout son charme. À l’opposé, une grande part de la musique savante occidentale ne saurait exister sans le tempérament égal.
La Consonance
Il existe de nombreuses façons d’aborder le phénomène de consonance. Jacques Dudon, dans une communication au CNRS, titrée : “Cohérence différentielle - une nouvelle approche de la consonance” ne dénombre pas moins de 6 approches différentes de ce phénomène. Cette variété s’explique par le fait qu’une trompette naturelle, sans pistons, n’obéit pas aux mêmes lois qu’un instrument fretté, par exemple, et que par ailleurs, les théoriciens, en des époques et des lieux différents ont élaborés des modèles différents. Toutes ces propositions sont relativement pertinentes et mettent en avant, soit la simplicité des rapports, soit leur limitation.
Cependant, J. Dudon remarque que ces théories abordent les degrés individuellement et propose sa propre méthode ou chaque note est évaluée dans son contexte, par rapport à toutes les autres notes utilisées dans la gamme.
La musique qu’il compose et interprète ne pourrait être appréciée, en termes de consonance, par les méthodes traditionnelles ; il y a donc à ce jour, au moins 7 approches différentes du phénomène de consonance…
Dans ce document la consonance sera déterminée par la relation des notes au sein de la série harmonique. Le rapport consonant par excellence sera donc l’octave (rapport 2/1), viendra ensuite la quinte (rapport 3/2), puis la quarte (4/3), etc. Plus on s’éloigne de l’origine de la série harmonique et plus les rapports deviennent dissonants.