Tempérament inégal régulier
On nomme ainsi tous les tempéraments dont 11 quintes subissent le même traitement… Avec cette évolution parallèle, on va se rapprocher du tempérament égal, sans y arriver pour autant…
Alors qu’avec le mésotonique on avait privilégié la tierce (naturelle) au détriment de la quinte, on choisira de fausser aussi la tierce, en modifiant la quinte, non d’un quart de Comma, mais d’un sixième de Comma syntonique. Pratiquement, on trouve alors un système régulier où la quinte vaut environ 698 cents, la tierce majeure vaut environ 394 Cents et l’écart entre le dièse et le bémol n’est plus que de 19 Cents (ouf… on respire un grand coup ). On a ici un système de tempérament dit “inégal régulier”.
Les musicologues s’interrogent sur l’origine d’un tel tempérament qui a peut-être été théorisé à posteriori. Il serait alors né d’un tour de main des luthiers qui utilisaient un compas double (rapport 18/17) pour tracer l’emplacement des frettes sur les touches des instruments à corde frettés. Il semble que ce compas produisait des intervalles égaux un peu resserrés qui ont pu inspirer ce tempérament.
Quoiqu’il en soit, le tempérament inégal régulier ne détrônera pas le Mésotonique…
Les Tempéraments Inégaux Irréguliers
Au XVIIe siècle, le tempérament égal existe bel et bien mais les tierces en sont « outrées », selon le goût de l’époque. Aussi au XVIIe et surtout au XVIIIe, on reviendra (ou restera) à un tempérament inégal irrégulier dans lesquels certaines quintes sont moins réduites que d’autres afin de privilégier la justesse de certaines tierces importantes dans certaines tonalités, tout en permettant une certaine liberté de modulation. C’est avec ce type de tempérament que jonglait Bach…
Toutes les tonalités sont jouables, Il n’y a plus que 12 degrés et il n’y a plus de quinte du loup, mais ces quintes ne sont pas égales entre elles…Il en résulte une grande diversité d’expression. Les tensions rapportées par ces inégalités étaient mises à profit par les compositeurs pour accentuer leur discours musical.
Le premier commentaire sur un tempérament inégal irrégulier date de 1529. Il s’agit de “Toscanello in Musica” de Pietro Aron, paru à Venise.
Quelques tempéraments inégaux irréguliers
- Tempérament Werckmeister III : un quart de Comma est ôté à quatre quinte (do-sol, sol-ré, ré-la et si-fa#).
On cite souvent le nom de l’organiste allemand Andreas Werckmeister comme étant l’inventeur de ces tempéraments, portant d’ailleurs son nom, mais il semble que Werckmeister en fut plutôt le promoteur que l’inventeur. - Tempérament Vallotti (1750) : on conserve 6 quintes justes et on répartit un sixième du Comma sur les six autres.
- Tempérament Kirnberger II (1771) : on conserve 10 quintes justes et on reporte la moitié du Comma sur deux quintes (ré-la et la-mi). Ces deux quintes ne sont guère satisfaisantes.
- Tempérament Kirnberger III (après 1771) : le quart du Comma sur 4 quintes consécutives (do-sol, sol-ré, ré-la et la-mi)
- Tempérament Lambert (1774) : 5 quintes justes et un septième de Comma sur les sept autres.
- Tempérament Young I (1800) : transposition du tempérament de Vallotti. On privilégie d’autres quintes.
- Tempérament Young II (1800) : on conserve 4 quintes justes. On reporte un douzième de Comma sur 4 quintes et un sixième de Comma sur les 4 restantes.
- Tempérament Neidhardt (1800) : on conserve 3 quintes justes. On reporte un douzième de Comma sur 6 quintes et un sixième sur les trois dernières.
Il existait bien d’autres tempéraments. Citons par exemple le tempérament de Huygens en 1691 à 31 degrés, proche du Mésotonique, donc sonnant plutôt juste mais qui nécessitait un clavier mobile à 12 touches (comme les claviers transpositeur d’orgue). Système permettant, me semble-t-il, la transposition mais pas la modulation…
Quand on a lu tout ceci, on comprend que le tempérament égal, quand il est apparu, n’était qu’un système parmi d’autres. Plus souple que tous les autres mais aussi avec ses inconvénients puisque seules les octaves [1] y sont parfaitement justes. Quant aux tempéraments inégaux, certes beaucoup moins souples, ils apportaient une richesse expressive, du fait de l’inégalité des échelles, certainement appréciée des compositeurs.
On remarquera qu’avec le tempérament inégal, l’incorporation harmonique s’arrête aux septièmes et ceci avec beaucoup de précautions (préparation et résolution de la septième, toujours traitée comme une dissonance) alors qu’avec le tempérament égal, progressivement tout devient permis.
Ceci s’explique par le lent travail d’acclimatation de l’oreille, évolution purement culturelle qui reconnaît comme acceptable des intervalles autrefois considérés ( et parfois réellement ) dissonants.
Une autre explication, complémentaire de la première, pourrait être qu’avec le tempérament inégal, la musique était suffisamment “colorée”, couleurs qui disparaissent avec le tempérament égal, ce que l’on aurait progressivement compensé en enrichissant l’harmonie.
Le tempérament égal s’est imposé pour tous les instruments à sons fixes (claviers) et dans l’ensemble de la musique savante occidentale et ses divers avatars ( jazz, variété…). Mais en dehors de ce cénacle, on utilise toujours des gammes inégales. Citons, par exemple, musique arabe, persane, ottomane, chinoise, mélanésienne, javanaise, balinaise, africaine, sud-américaine, bretonne … Autant dire toutes les autres…
Mais ici, l’harmonie n’a pas été exploitée comme en occident, la mélodie prime…
Par ailleurs, en Occident, l’affaire n’est pas réglée puisqu’il existe le club de la juste intonation, groupe de compositeurs, qui exploitent toujours d’autres gammes, basées sur la série harmonique et s’interdit donc les instruments à sons fixes. Jacques Dudon, par exemple, a proposé une gamme à 22 degrés, sans doute très proche de la théorie indienne, qui donnerait à la fois une totale liberté de modulation, pour des écarts de justesse infimes, presque inquantifiables. A suivre…
Toujours en Occident, une autre échelle utilisée
Il est inutile de demander à une trompette naturelle [2] de jouer dans tel ou tel tempérament, ou en tempérament égal. La seule échelle accessible à ce type d’instrument est un tronçon de la série harmonique. A noter que la faculté pour les joueurs de cor de glisser leur main dans le pavillon de l’instrument leur permet de corriger l’intonation avec une assez grande précision.