Gammes et tempéraments

Justesse - Erreurs et confusions

Par Gilles Patrat

Petite réflexion sur la sacro-sainte justesse… Et sur l’inexistence de ce fameux comma d’un neuvième de ton, pourtant sans cesse évoqué dans les conservatoires…

Justesse

La justesse est, on l’aura compris, une notion très relative !

La gamme de Pythagore pour les musiques non-harmonisées est excellente.
La gamme d’Aristoxène convient très bien pour la musique harmonisée à condition d’être dans le bon ton et qu’il n’y ait pas de modulations.
Le Mésotonique est l’échelle par excellence de la musique renaissante. Elle n’est utilisable que dans certaines tonalités où elle est assez juste. Elle demande une écriture particulière pour éviter la quinte du Loup.

Nombre de tempéraments baroques offrent une justesse supérieure au tempérament égal, et sacrifient pour ce faire la possibilité de moduler/transposer à l’égal en conservant cependant une large liberté de manœuvre.

En effet, avec le tempérament égal, seules les octaves sont justes ! Les tierces et sixtes, majeures et mineures ne sont pas excellentes…

L’immense réservoir des échelles ethniques commence seulement à être connu et étudié. Mais il est bien tard puisqu’il est assez certain que l’ère des fusions correspond aussi à l’ère des disparitions…
A signaler, et pas seulement pour le fun, des quasi-équi-pentaphoniques (Java), une quasi-équi-hexaphonique en Mélanésie. Des pentatoniques anhémitoniques un peu partout (non tempérés). Les échelles à quart de ton [1] arabes, turques, persanes…

Frettage micro-tonal
Réalisé par Jacques Dudon

En outre, les compositeurs de la juste intonation n’ont pas dit leur dernier mot. D’ores et déjà, ils proposent des échelles musicales efficaces dans un contexte donné. On parle alors de « juste intonation », de « micro-tonalité »…

Erreurs et confusions

Les erreurs et confusions sont innombrables dans ce domaine…

Il est utile d’en connaître les raisons si l’on veut aller plus avant dans cette connaissance. Cela peut être utile pour se faire un avis personnel – assez indispensable – sur ce que l’on lit ou entend.

La cause la plus importante est à mes yeux qu’il n’y a pas eu de continuité dans la transmission de ces savoirs. Les connaissances que nous avons aujourd’hui de ces matières sont infiniment plus solides qu’il n’y a 30 ou 40 ans, grâce à l’effort des baroqueux, en premier lieu. Mais il faut quoi qu’il en soit tout redécouvrir et ce travail est loin d’être achevé. Il est certain même que tout ne sera pas totalement éclairci. La connaissance de la manipulation des rapports pour l’analyse des matériaux doit aussi beaucoup aux ethno-musicologues qui ont découvert là un outil très polyvalent d’analyse des gammes, un outil en fait quasi-universel…

Une autre raison, à mes yeux tout à fait surprenante, est que nombre de musiciens ne souhaitent pas connaître plus profondément les matériaux et outils qu’ils utilisent ; que ce soit la nature du son, des gammes ou encore la facture de leur instrument. Ils se privent à mon avis d’un phénoménal réservoir pour la réflexion et l’inspiration. Certes, les sollicitations et les pistes de travail sont nombreuses, on ne peut pas tout faire, tout savoir. Mais il s’agit pourtant là de connaître, d’approcher au moins, ce qui sous-tend notre travail quotidien.

Autre facteur qui favorise la confusion ; des auteurs, depuis que cette recherche à commencée, ont écrit de nombreux essais (papier, mais aujourd’hui sur le Web) mal faits, mal documentés. Il s’agit plus là de faire preuve d’érudition que de contribuer humblement à reconstituer une page essentielle de notre histoire de la musique. Un cas souvent relevé est le pompage d’écrits plus anciens, mais comme cela est courant, avec une petite erreur au passage, d’autant plus facile à commettre que ces écrits sont ornés parfois de longues suites de chiffres… On a ainsi pu voir des erreurs reconduites d’un essai à l’autre, alors que leurs auteurs les présentaient comme des travaux personnels, originaux, et se gardaient bien de citer leurs sources !
On trouve aussi dans ce cas des erreurs ou confusions de terminologie. Il est notamment très léger et tout-à-fait préjudiciable, par exemple de parler de comma, sans en préciser la nature quand on sait qu’il en existe plusieurs et de valeurs bien différentes. Plus d’une erreur vient tout simplement de là. Tel auteur pensait syntonique, tel autre en le lisant a pensé pythagoricien et ses conclusions ne tiennent plus debout…

Le fameux comma d’un 9e de ton

On a tous entendu évoquer un jour le comma d’un 9e de ton, lequel se propage au travers des conservatoires depuis plus d’un siècle. Rappelons que le comma est une valeur théorique obtenu par calcul. Il exprime la différence entre deux objets très proches.
Ce n’est donc pas une valeur – ou unité – musicale pratique !

Ensuite, nous savons que les commas pythagoricien et syntonique sont des valeurs rationnelles qui ne sauraient s’appliquer au tempérament égal, parfaitement irrationnel.

D’où vient donc ce Comma d’un 9e de ton ? Peut-être d’une simple confusion puisque M. Holder (1694) avait imaginé une gamme à 53 degrés pour sa méthode de chant et qu’il avait nommé ces degrés commas…

M. J. Chailley, sous-directeur du Conservatoire de Paris, a publié en appendice de sa théorie musicale, dans les années 50, un article de M. Dussaut, premier grand prix de Rome, démontrant l’inexistence de ce Comma d’un neuvième de ton et proposant de nommer ces degrés des « Holder », avec l’espoir de stopper la confusion. Par ailleurs et pour compléter le tableau, ces Holders ne valent pas un 9e de ton, même s’ils s’en approchent …

Grosso modo et en caricaturant un peu, on mesure des kilomètres avec une louche…mal étalonnée…

Pourtant, si l‘erreur persiste, c’est bien que les musiciens ont besoin d’une petite valeur, proche du dixième de ton. La notion vague de comma – sans plus de précision - suffirait à cet usage et serait plus appropriée que ce pseudo comma d’un 9e de ton, à l’apparence savante mais tout-à-fait infondé !

Un mot au sujet du “clavier bien tempéré” de J. S. Bach. Il s’agit très certainement d’un (ou plusieurs) tempérament inégal irrégulier, mais qui permettait de jouer dans tous les tons (ils sont nombreux dans ce cas) et certainement pas du tempérament égal. J. S. Bach était un éminent spécialiste des orgues et ces instruments n’apprécient pas spécialement ce type d’accord. Deux Orgues ont d’ailleurs été construits récemment avec un accord Mésotonique ( à Wolfisheim par M. Garnier en 1980, avec des feintes doubles ; à Strasbourg, St Paul par le même organier en 1977, avec une présélection des degrés par un levier).

Notons que l’usage est de parler de "gamme tempérée" pour désigner la gamme au tempérament égal, alors qu’ils existe un grand nombre de gammes tempérées…
D’une façon générale, la façon de nommer les choses est particulièrement sujette à caution. Le même terme, sous deux plumes différentes, peut représenter, soit la même chose, soit deux objets voisins, soit deux objets qui n’ont rien de commun ! Nous l’avons vu pour les commas, mais que dire des schismas et des appellations de tempéraments.

En conclusion, tout ce que vous venez de lire est sujet à caution !
La preuve en est que ce cours est différent de celui que j’ai donné l’an passé. Il est très vraisemblable que si je redonne ce cours l’an prochain, il serait encore remanié… De bonne foi, je pense pouvoir affirmer que vous n’y trouverez pas d’erreurs grossières, mais il comporte certainement quelques insuffisances puisque j’ai prudemment écarté plus d’une piste qui me semblait insuffisamment balisée…

Par contre je crois que les musiciens soucieux d’enrichir leurs connaissances apprécieront ces quelques pages, doctes, mais pas trop (étant donné le sujet), et qui ne laissent pas trop de zone d’ombres…

Bibliographie Sommaire

  • Eléments d’acoustique musicale, V.- C. Mahillon, Les amis de la musique, Bruxelles
    Mon initiation en acoustique dans les années 80 ! Ré-impression d’un ouvrage de 1884, dépassé mais sympathique…
  • Acoustique et Musique, E. Leipp, Masson
    Accessible et efficace, très ouvert, (les instruments, l’oreille, l’architecture, etc.).
  • Musique et Tempérament, P.Y. Asselin, Éditions Costallat.
    Une référence sur ce sujet.
  • Gammes et tempéraments, J. Lattard, Éditions Masson.
    L’autre référence sur ce sujet.
  • Traité de musicologie comparée, A. Danielou
    A. danielou fut un pionnier. C’est confus, difficile à lire et sujet à caution, mais il fut le promoteur d’une méthodologie permettant de comparer les travaux.
  • Les harmonies du ciel et de la terre, J. Godwin, édition Albin Michel
    Une somme phénoménale des approches non musicales de la musique.

[1Qui ne sont bien sûr pas des quarts de ton tempérés…

Revenir en haut