Cet article, basé sur différents travaux d’ethnologues, est tiré d’un bulletin de l’association « Syrinx Academy », créée et pilotée par Patrick Kersalé. Patrick a été le tout premier en France à faire un véritable travail de recherche sur le vaste monde des flûtes de Pan.
Note - Des modifications ont été apportées à l’occasion de la publication sur notre site, rajout de photos, corrections mineures, etc.
Généralités sur les flûtes en faisceau mélanésiennes
Les flûtes de Pan en faisceau sont répandues dans toute la Mélanésie (Iles Salomon, Nouvelles- Hébrides, Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Bretagne). Les tuyaux de ces instruments sont reliés entre eux à la manière d’un fagot.
La ligature est à peu près la même pour tous ces appareils.
Ils sont soit largement enveloppés à I’extrémité supérieure (fig.1), souvent avec du tissu (fig. 2), (à Buka et Bougainville). soit finement enveloppés à trois endroits. Les tuyaux sont toujours ouverts en bas. l’exemplaire de Lake Kutubu (Nouvelle-Guinée) constitue une exception ; ici, trois tuyaux ouverts sont reliés à trois tuyaux fermés (fig. 3) L’extrémité supérieure des tuyaux est rarement coupée de manière lisse, ce qui est le cas pour l’instrument de Marind ’Anim (fig. 4).
L’agencement des tuyaux en fagot n’est pas le fruit du hasard. La technique pour jouer de la flûte de Pan en faisceau est fondamentalement différente de celle praticable avec la flûte de Pan en radeau. Börnrstein appelle l’instrument « flûte de souffle ». Il écrit : "On souffle dans les 5 à l0 tuyaux agencés en fagot de telle manière que les ouvertures supérieures sont tirées d’un côté et de l’autre par un souffle d’air qui fait des trémolos. Ce sont les tuyaux parfaitement ouverts qui donnent au souffle d’air une sonorité légère correspondant à la longueur des tuyaux. J’ai remarqué que quelques indigènes faisaient aller et venir leur index sur le trou de la flûte mère (le plus long tuyau). Ce qui est particulier au Pa’ri est le fait que le faible son des tuyaux ouverts ne sert pas seulement, d’une certaine manière, de pédale à ceux qui sont fermés (comme c’est le cas des flûtes à double rangée de Buka) mais constitue un son en lui- même. L’intensité du son étant très faible, le musicien joue pour sa propre distraction, joie ou repos".
Speiser remarque encore à propos de Santo et Malekula : "On souffle obliquement à environ l0 cm des tuyaux… Certains tuyaux sont bouchés de temps en temps en bas par le doigt". Wirz écrit également au sujet des Marind-Anim que l’on souffle dans les tuyaux avec un certain recul. On reconnaît le même phénomène sur une photo de Thurnwald du milieu du fleuve Topfer. Cette photo serait le seul document concernant une flûte en faisceau dans le nord-est de la Nouvelle Guinée. L’instrument correspond parfaitement aux types de Buka et en proviendrait. Durrad écrit à propos des îles Torres : « Le »votnem" des femmes est composé de petits roseaux et est joué par deux personnes tenant le fagot entre elles. Un des roseaux est plus grand que les autres et une femme souffle dedans afin de créer une pédale, tandis que I’autre personne, à l’opposé, souffle dans les autres tuyaux afin de jouer la mélodie. Le souffle s’échappant des lèvres comprimées est vraiment petit et le son produit très faible. Les musiciens jouent probablement pour leur seul plaisir". Le jeu des deux femmes sur un instrument est exceptionnel.
Fonction et harmonisation
Pour les flûtes de Pan en tant que groupe, il faut poser deux questions : la première concernant leur fonction, la seconde concernant les principes de leur harmonisation. Thurnwald et Hornhostel donnent la seule description exhaustive et la recherche du procédé de fabrication des flûtes de Pan à Bougainville. Ici I’harmonisation a lieu lors d’une fête en I’honneur de l’initiation des fils du chef de tribu. La longueur des plus grands tuyaux est tout d’abord mesurée de l’intérieur à I’aide d’une baguette, puis plus précisément accordée. C’est à cette occasion qu’un vieil instrument, gardé par un chef de tribu sert de modèle.
Gruppy écrit à propos de l’île de Shortland : "Les indigènes varient le nombre des roseaux d’un instrument en fonction de la mélodie à jouer" Selon I’observation faite par Frizzi à Buka, chaque tuyau est taillé selon l’ouïe. Blackwood raconte que les instruments sont fabriqués peu de temps avant la danse et qu’ils sont de la même manière jetés après (ce que Ribbe écrit également à propos des îles Shortland).
A partir de ces quelques documents, on peut constater les choses suivantes :
- La suite des sons semble rester, dans ses intervalles, dans la mémoire du joueur.
- Une hauteur de son absolue prenant modèle sur un vieil instrument est constatée à Bougainville.
- L’agencement des tuyaux dépend de certaines mélodies.
- Les longueurs (les dimensions linéaires) ne sont utilisées qu’approximativement.
- Le ton le plus bas est le ton de base.
La fonction, des flûtes de Pan, en plus de celle d’une utilisation générale pour le plaisir correspond avec celle des instruments des voix des esprits. Hornbostel à Buin, Bell à Tonga, Parkinson à la presqu’île des Gazelles et Börnstein à Duke of York leur attribuent une valeur amoureuse. Des documents concordent ainsi pour le Sud Est de la Nouvelle-Guinée, tel est le cas pour le groupe d’Entrecasteaux et des Kiwai. Mais à côté de cela, bien que plus rare, il y a un lien avec le rite initiatique. Deacon rapporte au sujet de Malekula que les flûtes de Pan sont là-bas des tabous féminins et sont utilisées lors du rite initiatique. Les références de Thurnwald et Hornbostel se rapportent aussi à ce fait.
En Nouvelle Irlande (dans I’archipel Bismarck), en amont de la rivière du Léron, Holznecht rapporte que I’on joue ici de la flûte de Pan après la moisson lors de la cérémonie de circoncision. Elles ne doivent pas être utilisées avant la moisson, parce que sinon les fruits ne pousseraient pas. Même le missionnaire Wagner écrit dans une lettre à propos des montagnes Finisterre : "L’indigène tire une petite flûte de Pan de son sac pour passer le temps lors d’une pose ou pour annoncer son arrivée à ses amis. Les flûtes jouaient un rôle important lors des fêtes de circoncision". Simpton écrit à propos d’une partie de cérémonie d’initiation chez les Kukukuku en Papouasie- Nouvelle-Guinée"… A un certain moment, des notes mélodieuses tirées des flûtes de Pan signifiaient que les initiés avaient subi des actes coutumiers…". En plus, on constate que le jeu de la flûte peut simplement être une distraction. Chez les Latmuls « du moyen Sepik », les flûtes de Pan sont considérées comme ayant un lien avec les esprits sylvestres ; les mélodies sont secrètes et les tabous féminins. Il semble en être de même chez les Chambri. Seuls les chefs de tribu en jouent chez les Baining, où la flûte de Pan ne fut introduite qu’assez tard. Aux Salomons, dans l’île de Malaita, Hugo Zemp nous rapporte une description très précise des flûtes de Pan en faisceau qu’il classe en deux catégories : la flûte de pan en faisceau tenue verticalement et la flûte de Pan en faisceau tenue obliquement.
Flûte de Pan en faisceau tenue verticalement
L’instrument comporte, selon les régions, 7, 8 ou 9 tuyaux ouverts. Chez les Kwaio il existe également une flûte de Pan à tuyaux fermés, c’est-à-dire dont l’extrémité inférieure des tuyaux est close par le noeud du bambou.
La ligature est inexistante ou des plus simples. Souvent le musicien entoure simplement d’une ou deux mains les tuyaux. Une fibre végétale enroulée plusieurs fois autour de l’ensemble des tuyaux, ou aujourd’hui un morceau d’étoffe ou un élastique, lui évite de perdre des tuyaux quand il met I’instrument de côté. Cette ligature sommaire peut être conservée pendant le jeu, mais elle ne doit pas être trop serrée, puisque le musicien change l’ordre des tuyaux Selon la mélodie qu’il veut jouer. Chez les ’Are ’are, le huitième tuyau ne fait pas partie du faisceau, mais est gardé à part et échangé avec I’un des autres tuyaux quand le musicien en a besoin pour une autre mélodie déterminée.
Le tableau suivant indique les mesures intérieures des tuyaux de deux instruments rapportés pour le musée de l’Homme.
Dans l’instrument ’Are ’are, le tuyau le plus grand est deux fois plus long que le plus court : ces deux tuyaux sont accordés à I’octave. Il s’agit d’une échelle équiheptaphonique. c’est à dire d’une échelle où les sept sons à l’intérieur de I’octave sont équidistants.
doc679|left> L’échelle de l’instrument kwaio à 10 tuyaux est pentatonique ; un autre instrument kwaio à 9 tuyaux a une échelle hexaphonique.
Pour un morceau de musique donné, le musicien ne souffle jamais dans tous les tuyaux, en général la mélodie ne comporte que trois ou quatre sons. Le faisceau a la forme d’un cercle dans les instruments à sept tuyaux, d’une ellipse dans les instruments à neuf ou dix tuyaux chez les Kwaio, et d’un triangle dans I’instrument à neuf tuyaux chez les Fataleka (fig. 5).
Fig. 5 : Flûtes de Pan en faisceau tenue verticalement. Vue d’en haut :
Le musicien tient I’instrument verticalement à une distance de un à trois centimètres de la bouche. La main reste immobile. Pour diriger le souffle dans les tuyaux, le musicien bouge la tête à gauche et à droite, en avant et en arrière. Le son des instruments à tuyaux ouverts est très faible, celui des instruments à tuyaux fermés est à peine plus fort. La qualité sonore peut être modifiée en faisant vibrer la pointe de la langue ; la lame d’air est alors interrompue régulièrement plusieurs fois par seconde. Un autre moyen d’arriver à cette fin est de mettre un petite feuille entre les lèvres.
Les Kwaio, qui sont passés maîtres dans cet instrument, frappent rythmiquement avec les ongles de la main gauche sur la paroi des tuyaux (fig. 6)
L’instrument est fabriqué par le musicien lui-même qui détermine la longueur des tuyaux à I’aide de mesures corporelles.
Chez les Kwaio, la flûte de Pan en faisceau à 7 tuyaux ouverts, s’appelle « suxuxwaxwa » (« xwaxwa » signifiant ouvert), I’instrument à l0 tuyaux fermés est nommé « suxubono » (« bono » = fermé).
Un troisième instrument kwaio, à 9 tuyaux ouverts, est appelé « loloniuo » (nom d’un oiseau). Dans le nord de Malaita, I’instrument s’appelle en général « suku », chez les Fataleka « tala’au », chez les Langalanga « tolatola », chez les Kwarekwareo « ’au kusukusu ». Les ’Are ’are connaissent également le nom « suku », mais emploient plus fréquemment le nom de "’au waa" (bambou ouvert).
Un troisième nom ’are ’are moins connu. est au "’au ni ha’apoonia" (bambou d’entraide). Voici pourquoi : selon une légende kwaio connue chez les ’Are ’are, c’est à l’origine l’instrument d’un grand guerrier. Sa tête ayant été mise à prix, il risquait d’être attaqué pendant son sommeil. En se couchant, il posait l’instrument sur sa poitrine, l’embouchure des tuyaux sous son nez. Sa respiration faisait résonner I’instrument, et les gens venus le tuer, le croyant toujours éveillé, s’en allaient. Ainsi, le guerrier recevait l’aide de son instrument et, réciproquement, I’instrument recevait le souffle du guerrier. Chez les ’Are ’are, l’instrument n’a pas de fonction rituelle ; il est joué pour le divertissement des hommes et peut être soufflé par les femmes. Chez les Fataleka en revanche, la flûte de Pan en faisceau, tenue verticalement, tient une place importante dans le grand cycle funéraire (« maome ») organisé après la mort d’un prêtre traditionnel : elle est jouée au cours de la sixième séquence du « maome » (qui comprend douze séquences réparties sur huit ans), avant toute autre musique.
L’instrument kwaio, à l0 tuyaux fermés, semble cependant unique, la littérature ethnomusicologique n’ayant décrit jusqu’à présent aucune flûte de Pan en faisceau dont tous les tuyaux soient fermés.
Flûte de Pan en faisceau tenue obliquement
A la différence de la flûte de Pan en faisceau décrite précédemment, celle-ci est tenue obliquement et ne comporte que 3 ou 4 tuyaux ouverts dont l’embouchure est formée par un petit trou circulaire dans le noeud du bambou.
Le tableau suivant résume les mesures de deux instruments rapportés pour le Musée de l’Homme.
Fig. 7 : Flûtes de Pan en faisceau, tenues obliquement. Vue d’en haut
La ligature peut se faire de différentes manières. La plus simple consiste en une fibre végétale enroulée plusieurs fois autour de l’ensemble des tuyaux, comme c’est le cas pour la flûte de Pan en faisceau, tenue verticalement. Mais elle doit être plus serrée, les tuyaux restant toujours à la même place et l’instrument étant tourné pendant le jeu. Les musiciens préfèrent une ligature qui, outre sa fonction de maintenir les tuyaux, à une valeur esthétique. Elle peut être faite d’une large fibre végétale tressée d’une façon ornementale autour des tuyaux, à un ou à deux endroits. Elle peut être aussi d’une fibre plus mince, enroulée une dizaine de fois autour des tuyaux, sur une hauteur de 8 mm environ, faisant sur le côté extérieur de chaque bambou une spirale ornementale d’un diamètre de 15 mm. Ce type de ligature est appelé « rahooi », d’après le nom d’un petit vers du bois qui s’enroule de cette façon. Certains de ces instruments sont en plus ornés de lignes gravées tout autour de la partie inférieure des tuyaux.
L’instrument est fabriqué par le musicien lui-même. La longueur des tuyaux est déterminée à l’aide de rnesures corporelles. Le musicien qui fabrique un nouvel instrument coupe le bambou en laissant un nœud dans lequel sera faite l’embouchure. Celle-ci n’est pas percée mais obtenue en frottant le noeud, d’une épaisseur de plusieurs millimètres, sur une pierre mouillée. L’épaisseur du nœud s’amenuise peu à peu et, après plusieurs heures de travail, un petit trou circulaire se forme au milieu du nœud.
Fig. 8 : Coupe de l’embouchure de la flûte de Pan en faisceau, tenue obliquement.
Le musicien tient I’instrument obliquement. presque horizontalement. mettant le tuyau qu’il veut faire résonner à la bouche. Une partie de la lame d’air pénètre également dans le tuyau opposé. qui résonne plus faiblement. Pour diriger l’air dans les différents tuyaux, le musicien tourne l’instrument par un mouvement de poignet en avant et en arrière. Les sons très aigus de I ’instrument sont encore plus faibles que ceux de la flûte de Pan en faisceau tenue verticalement.
L’instrument s’appelle, chez Ies Kwaio "’au hulubulu« (bambou tourné), chez les ’Are ’are du Nord »’au ware’’. Ce dernier nom désigne, plus au sud la flûte traversière. Pour ne pas confondre les deux instruments, les ’Are ’are du Sud appellent la flûte de Pan tenue obliquement « ’au po’o » (bambou de côté).
Le répertoire est très limité : l’un des musiciens rencontrés ne connaissait qu’un seul morceau, deux autres en connaissaient deux. L’instrument est joué par les hommes pour leur divertissement, chez les Kwaio aussi pour faire la cour à une jeune fille. Le son étant très faible, il se limitera à jouer un petit morceau en sa présence.
Les musiciens sachant jouer de cet instrument ont probablement disparus : ils étaient au moins quatre en 1971. Comme I’instrument précédent, la légende attribue l’origine de cette flûte de Pan à un guerrier traqué. L’instrument - sous la forme connue des ’Are ’are, des Kwarekwareo et des Kwaio - semble être unique au monde.
Journal de la société des océanistes n" 30 / Tome XXVII - mars 1971
Journal de la société des océanistes n" 34 / Tome XXVIII- mars 1972
Schallgerâte in Ozeanien Hans Fisher /1974
Verlag Valentin Koerner - Baden-Baden.
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