Quand il pense aux flûtes de Pan en Europe, le
grand public situe immédiatement ce type
d’instrument en Roumanie, l’identifiant au naï,
rendu célèbre par les virtuoses et les orchestres
traditionnels.
Mais il y a une découverte à faire
en Italie du Nord : les ensembles de « firlinfeu ».
Le disque « Flûtes de Pan de la Brianza » [1] est
une des plus brillante prestation de firlinfeu que
l’on rencontre en Italie du Nord. Le groupe
enregistré se nomme « I Bej » et se situe à Erba.
Les flûtes ’’Firlinfeu’’
Ces instruments sont des flûtes de Pan élaborées par quelques constructeurs locaux qui les réalisent pour les groupes folkloriques de leur région. Le matériau, c’est un type de roseau appelé aussi chez eux « bambu » qui pousse en pleine terre dans une région qui se situe entre le Nord de Milan et le Lac de Côme. Les flûtes se présentent dans les différentes tessitures habituelles : Soprano, Alto, Ténor et Basse. On leur donne les noms de siringa, firlinfeu, voire piffero en direction de Bergame. En Lombardie, le dialecte local a ainsi donné à l’antique flûte de Pan ou Syrinx, le curieux nom de firlinfeu, exprimant par une onomatopée l’idée du souffle qui est liée au son particulier émanant de cet instrument.
Un groupe folklorique, fondé en 1904, a même pris le nom de cette flûte caractéristique de laquelle les musiciens tirent leurs harmonies.
La localisation
Les flûtes firlinfeu se rencontrent en Italie du Nord. Là, apparaît le nom de Brianza, qui appartient en propre à une région de collines près de Lecco, panoramiquement la plus belle ville de Lombardie, située au bord d’un bras du Lac de Côme. On distingue la Brianza septentrionale, au sud de Lecco, avec ses petits lacs préalpins (Alsério, Pusiano, Annone, Garlate) et, plus au sud encore, la Brianza centrale. Nous sommes ici à un carrefour entre Milan et les cols des Alpes, dans une région de peuplement dense. C’est la « Brianza », paysanne d’autrefois qui s’est rapidement transformée ces dernières années en une florissante zone commerciale où l’industrie et l’artisanat cohabitent avantageusement. Et voilà le berceau des flûtes « firlinfeu » où sont concentrés les groupes folkloriques qui utilisent ces instruments : les groupes de Lecco, Mandello de Lario, Oggiono, Civate, Pusiano, Eerba, Canzo, Viglizzolo, Cantu et Como.
Le contexte historique
La tradition folklorique des groupes de firlinfeu trouve ses racines au XlXe siècle. Un écrivain célèbre, Carlo Lunati, en témoigne de la façon suivante, en évoquant leur existence, notamment à Erba : … « mais, pour revenir aux traditions, nous voulons dire qu’à Erba en Brianza, un Monsieur, dont je ne connais pas le nom, a voulu se payer le luxe d’habiller en costume paysan du XVe siècle toute une Compagnie de jeunes de la Brianza. En été presque chaque dimanche, on voit flâner, à travers nos villages, ce groupe insolite, qui s’oppose de façon anachronique au bruyant trafic routier de nos jours. Les femmes comme Lucia Mondella, portent des épingles d’argent (ce sont les "guazze") en éventail autour de la tête, les foulards de couleurs, les jupes larges, tandis que les hommes sont tous habillés en vert, les casaques aux boutons d’or, les pantalons courts, les chaussettes en fil blanc et les chapeaux à larges bords, une plume de faisan fixée au dessus ; ils ressemblent justement à Renzo Tramaglino.
En outre, ce groupe réjouit les réunions grâce
aux sons d’étranges instruments qu’on appelle
chez nous firlinfu
, mais qui, en réalité, sont
seulement une reproduction, plus ou moins
mise à jour, de l’ancienne flûte de Pan, le dieu
des bois ; une suite de tuyaux disposés en
échelle dont on glisse l’extrémité plate devant
les lèvres, en y soufflant dedans, ce qui donne
un son plutôt sylvestre. »
Le chroniqueur précise les costumes , ce sont
ceux avec lesquels l’écrivain Manzoni (1785-
1873) a habillé le peuple lombard et le couple
Lucia et Tenzo, dans son roman historique
"Les Fiancés" (1825-27), qui fut un modèle
pour le romantisme italien. Dans les groupes de
firlinfeu, il s’agit de costumes à l’ancienne,
redessinés par des experts et réalisés avec soin,
des exemplaires parfaits des habits de noces
d’autrefois.
Le répertoire
Le répertoire du groupe est constitué de musiques traditionnelles (marches, valses, mazurkas) et de chants populaires lombards de la Brianza. Les thèmes des chants et des musiques, par leur caractère bucolique, évoquent la gaieté : chant des femmes à la filature, chant des paysans qui vont au travail, chant du réveil, chant des vendanges, chant du paysan qui réclame la pluie, valse de l’amour, valse de la résurrection.
Les prestations
Aujourd’hui comme hier, les ensembles de firlinfeu font partie de la fête (carnavals, banquets, fêtes diverses), leur musique invitant à la danse, mais ils se produisent également en concert.
Les instruments
Ces groupes de flûtes de Pan jouent en orchestres à plusieurs voix, comme des « harmonies » en somme, mais avec des flûtes et quelques percussions (tambourins, tambour). L’orchestre de firlinfeu comprend 25 à 30 flûtes de Pan de 7 tessitures différentes ; les plus petites s’appellent « cantini », les moyennes « controcanti » et « bassetti », les plus grandes « bassi ». Les noms génériques donnés à ces instruments diffèrent selon les lieux : firlinfeu, siringa, fregamunson, piffero. Elles sont fabriquées avec des roseaux poussant en pleine terre. Les tubes sont maintenus par 4 à 6 éclats de roseaux répartis deux à deux sur chaque face de l’instrument et liés avec de la ficelle. Les tuyaux les plus longs présentent, au niveau de l’embouchure, un empilage conique composé de bagues découpées dans des cannes de roseaux de différents diamètres et collées les unes sur les autres. Cet artifice permet de faciliter l’insufflation et de jouer la note fondamentale du tuyau et non ses partiels.
L’orchestre est organisé en trois sections :
- la section « chant » comprenant de 6 à 8 instruments, subdivisée en 4 voix : primo cantabile, secondo cantabile, terzo cantabile et quarto cantabile. Cette section, confiée aux musiciens les plus expérimentés, joue la mélodie.
- la section « accompagnement », composée d’instruments de taille intermédiaire, joue les contretemps composés d’accords harmoniques.
- la section « rythmique », composée des plus grands instruments atteignant l,40m et possédant jusqu’à 32 tubes . Les flûtes « bassetti » sont plus hautes d’une octave que les « bassi », mais les deux jouent la basse composée de la tonique et de la dominante. Sur les flûtes « bassi », seule l’octave inférieure est jouée, les tuyaux supplémentaires n’apportant qu’une esthétique à l’ensemble. Les instruments du groupe « I Bej » sont accordés en La bémol. Ils sont fabriqués par Camillo Brambilla, artisan de Bernareggio, dans la région de Milano.
Les costumes masculins
Les hommes portent de petits souliers avec une boucle « à la Renzo », un pantalon en velours vert bouteille fermé au genou et soutenu par une écharpe polychrome pendant sur le côté gauche, des bas blancs, un bourgeron blanc à large col et manchettes retournées à l’extérieur sur une veste en velours vert sombre ornée de boutons dorés, un chapeau à larges bords assorti d’une plume de faisan à gauche. L’hiver, le costume est complété par un manteau en drap marron. Les jours de pluie, les Bej emploient des parapluies en cotons aux couleurs vives.
Les costumes féminins
Les vêtements féminins n’ont pas subi de grandes modifications du XVIe siècle jusqu’à la moitié du siècle passé et pourtant on a conservé cette ligne pour les costumes des Lucia à la suite des Bej. La jupe, large et longue, avec une bande décorative à la base, laisse parfois entrevoir les larges culottes bordées de dentelle et égayée sur le devant par un tablier. Une chemise blanche à longues manches, aux manchettes et au col ornés de dentelles, sort d’un corset de velours noir qui suit la flexuosité du corps. Les Lucia portent dans leur chevelure, un peigne en éventail, qu’on appelle dans le dialecte du lieu « coaz » ou « spaden ». Les jolis sabots, égayés par des rubans bariolés, ajoutent couleur et atmosphère. Pendant l’hiver, un grand châle complète le costume. Les jours de pluie, les Lucia emploient des parapluies en coton aux couleurs vives.
Patrick Kersalé
Cet article est tiré d’un bulletin de l’association « Syrinx Academy », créée et pilotée par Patrick Kersalé.
Né en 1959, Patrick Kersalé est ethnomusicologue autodidacte. Au cours des deux dernières décennies, il a œuvré dans une quarantaine de pays d’Europe, d’Afrique, d’Amérique et d’Asie pour photographier, enregistrer, filmer les musiciens traditionnels et étudier leur musique. Musicien, ethnomusicologue, conférencier, pédagogue, il est l’auteur de 160 publications (disques, livres, DVD, films, outils pédagogiques) consacrés aux musiques traditionnelles. Il est directeur de la collection de CD Peoples, de la collection de livres-disque Parole d’Ancêtre consacrée aux traditions orales parlées, des collections de DVD Ethnys, Thèm’Axe et Eclectic consacrées aux musiques traditionnelles.
Co-fondateur du Musée de la Musique d’Hier et d’Aujourd’hui à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), il déploie toute son énergie pour sauvegarder, préserver et faire connaître ces musiques en voie de disparition.
Tous les projets audios, vidéos et photographiques ont été réalisés sans aucune subvention.
Patrick est membre de la société des Explorateurs Français.
Il a été le tout premier en France à faire un véritable travail de recherche sur le vaste monde des flûtes de Pan.
Note - Des modifications ont été apportées à l’occasion de la publication sur notre site, rajout de photos, corrections mineures, etc.
Bibliographie : Revue de l’Association Flûtes du Monde
Cliquez les vignettes ci-dessous pour les agrandir ;-)