Trois versions d’un même texte
La version d’Antoine Mack, charmante et libre, puis le texte original en latin d’Ovide, suivi d’une traduction rigoureuse de A.-M. Boxus et J. Poucet.
La version d’Antoine Mack
L’amour déçu de Pan
Au pied des montagnes froides d’Arcadie, parmi les nymphes des forêts, la plus célèbre s’appelait Syrinx. Satyres et dieux qui hantent les bois sombres la pourchassaient, la fatiguaient de leurs assiduités. Mais elle leur échappait toujours.
Car elle s’était consacrée à Diane, la déesse vierge, qu’elle imitait dans sa tenue, dans son port, dans ses allures, au point que l’on aurait pu les confondre, si l’arc de corne de Syrinx avait été fait d’or. Elle leur échappait, elle courait plus vite qu’eux.
Un jour qu’elle revient du mont Lycée, le dieu Pan l’aperçoit et entreprend, lui aussi, de la séduire. Elle, cependant, dédaigne ses avances et prend la fuite à travers champs. Poursuivie par le dieu, elle court ainsi à perdre haleine jusqu’aux bords sablonneux du paisible fleuve Ladon. Les eaux arrêtent soudain son élan. Déjà Pan la croit livrée à sa merci…
Elle prie alors ses sœurs du fleuve de la métamorphoser. Le dieu se précipite et… désappointé, n’enlace que les roseaux du marais. Il soupire de douleur et l’air qu’il expire, traversant les longues tiges, produit une sourde plainte. Séduit par cette mélodie nouvelle qui sied si bien à son humeur devenue morose, il se radoucit et murmure à l’adresse de la nymphe : « Pour moi, ces plantes resteront le moyen de te parler toujours ».
Il coupe alors des roseaux d’inégale longueur. Avec de la cire, il les colle les uns aux autres. Ainsi naît entre ses mains la flûte de Pan. La flûte que l’on appelle aussi du beau nom de celle pour qui Pan jouera toujours des airs désespérés. Syrinx…
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Le texte original en latin
Livre 1 des Métamorphoses (1.689 à 1.713)
Tum deus : « Arcadiae gelidis sub montibus » inquit
1, 690
« inter hamadryadas celeberrima Nonacrinas
naias una fuit : nymphae Syringa uocabant.
Non semel et satyros eluserat illa sequentes
et quoscumque deos umbrosaque silua feraxque
rus habet. Ortygiam studiis ipsaque colebat
1, 695
uirginitate deam ; ritu quoque cincta Dianae
falleret et posset credi Latonia, si non
corneus huic arcus, si non foret aureus illi ;
sic quoque fallebat. Redeuntem colle Lycaeo
Pan uidet hanc pinuque caput praecinctus acuta
1, 700
talia uerba refert… » Restabat uerba referre
et precibus spretis fugisse per auia nympham,
donec harenosi placidum Ladonis ad amnem
uenerit ; hic illam cursum inpedientibus undis
ut se mutarent liquidas orasse sorores ;
1, 705
Panaque cum prensam sibi iam Syringa putaret,
corpore pro nymphae calamos tenuisse palustres,
dumque ibi suspirat, motos in harundine uentos
effecisse sonum tenuem similemque querenti.
Arte noua uocisque deum dulcedine captum :
1, 710
« Hoc mihi colloquium tecum » dixisse « manebit »,
atque ita disparibus calamis conpagine cerae
inter se iunctis nomen tenuisse puellae.
Traduction de A.-M. Boxus et J. Poucet
"Alors le dieu dit : « Au pied des montagnes glacées d’Arcadie, parmi les Hamadryades de Nonacris, la plus célèbre était une Naïade que les nymphes appelaient Syrinx.
Plus d’une fois, elle avait échappé aux satyres qui la poursuivaient et aux dieux qui hantent les forêts ombreuses et les grasses campagnes.
Elle honorait par ses activités la déesse d’Ortygie, et même lui avait voué sa virginité ; ceinte elle aussi à la manière de Diane, elle aurait pu faire illusion et passer pour la fille de Latone, si elle n’avait eu un arc de corne, au lieu de l’arc d’or de la déesse.
Même ainsi, on les confondait. Un jour qu’elle revenait du mont Lycée, Pan la voit et, portant sur la tête une couronne d’aiguilles de pin, il lui adresse ces paroles… »
Il restait au dieu à relater le discours de Pan, et le dédain de la nymphe pour ses prières et sa fuite à travers champs, jusqu’à ce qu’elle arrive au bord sablonneux du paisible Ladon ; là, les eaux arrêtant sa course, elle avait prié ses soeurs liquides de la métamorphoser.
Pan croyait déjà Syrinx à sa merci, mais dans ses mains il ne saisit que des roseaux du marais et non le corps de la nymphe.
Et tandis qu’il pousse des soupirs, l’air qu’il a déplacé à travers les roseaux produit un son léger, une sorte de plainte.
Séduit par cette nouveauté et la douceur de cette mélodie, Pan dit : « Pour moi, cela restera un moyen de converser avec toi ». Et ainsi grâce à des roseaux inégaux reliés entre eux par un joint de cire, il perpétua le nom de la jeune fille."
Notes ( de A.-M. Boxus et J. Poucet ) :
- Hamadryades de Nonacris (1, 690). Les Hamadryades étaient des nymphes des forêts ; Nonacris est une ville du nord de l’Arcadie, patrie du dieu Pan et des bergers.
- déesse d’Ortygie (1, 694-697). Ortygie est un autre nom pour Délos, l’île où Apollon et Diane (Artémis) naquirent de Latone (Léto). Des vocables différents sont donc utilisés pour désigner Diane, déesse de la chasse, vouée à la virginité. Souvent dans la littérature, Diane a servi de modèle pour l’évocation de figures féminines vraies ou déguisées. Voir par exemple : Virgile, Énéide, 1, 498-502 (pour Didon) et 1, 314-329 (pour Vénus).
- Lycée (1, 698). Une montagne du sud de l’Arcadie, consacrée au dieu Pan.
- Ladon (1, 702). Fleuve d’Arcadie.